| |
Après des études médiocres, Robert d'Arbrissel (v. 1047-1116), fils de Damalioch, recteur d’Arbrissel près de Rennes, prend la succession de son père. En 1076, il favorise l'élection au trône épiscopal de Rennes d'un guerrier, Sylvestre de La Guerche, lequel est déposé en 1078. Robert part alors à Paris pour étudier la théologie en un moment marqué par la réforme grégorienne. En 1089, l’évêque de Rennes, Sylvestre de La Guerche, rétabli sur son siège et gagné à la cause réformatrice, nomme Robert archiprêtre et en fait son vicaire général. L'archiprêtre lance dans le diocèse des réformes que le libertinage du clergé de Rennes ne rend que trop nécessaires et accomplit son œuvre de discipline, luttant contre simonie et nicolaïsme, sans s'occuper ni s'inquiéter des colères et des haines qu'elle soulève. Mais, en 1093, à la mort du prélat protecteur, le réformateur, en butte à la vindicte des clercs, doit quitter Rennes et va enseigner la théologie à Angers où il est écolâtre (directeur de l’école attachée à la cathédrale). Puis, vers 1095, dégoûté du monde, il se fait ermite dans la forêt de Craon, à la limite de la Bretagne. Rejoint par des disciples, il fonde une communauté de chanoines réguliers sur la terre de la Roë octroyée le 11 février 1096 par Renaud, dit l’Allobroge ou le Bourguignon, seigneur de Craon. Le 21 mars 1096, le concile de Tours le nomme prieur de l’abbaye de la Roë. La même année, le pape Urbain II, de passage à Angers, le nomme missionnaire apostolique avec la permission de prêcher per universum mundum. Robert, pauper Christi (= pauvre du Christ), renonce donc à la vie paisible de prieur pour parcourir les villes et les campagnes. Son exemple est suivi par d'autres prédicateurs qui entraînent une foule de personnes à leur suite. Ces disciples se nomment eux-mêmes Pauvres de Jésus-Christ. Clercs et laïcs, hommes et femmes, ils dorment en pleine forêt et attirent l’attention des autorités religieuses. Le bienheureux Raoul (ou Radulphe) de la Futaie (ou de la Fustaie ou de la Futaye), bénédictin et prêtre à Saint-Jouin-de-Marnes, embrasse la vie érémitique dans la forêt de Craon avec Robert d'Arbrissel, le prince du désert. Vital de Mortain rejoint Robert et Raoul, vers 1095. Bernard de Ponthieu, qui vient les trouver en 1096, et Vital de Mortain iront fonder, l'un le monastère de Tiron au diocèse de Chartres, l'autre, celui de Savigny au diocèse d'Avranches. Raoul aidera Robert d'Arbrissel à fonder la nouvelle congrégation bénédictine de Fontevraud avec son double monastère : masculin et féminin. Pierre II, évêque de Poitiers de 1087 à 1115, favorisera la fondation de l'abbaye. Comme Robert d'Arbrissel, Raoul (+1129) fondera en 1112 ou 1115, selon dom Morice, dans la forêt du Nid-de-Merle au diocèse et à trois lieues vers le Nord-Nord-Est de Rennes (Histoire de la Petite-Bretagne ou Bretagne-Armorique, François Gilles P.B. Manet) la double abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt dont l'abbesse avait le gouvernement, tant des religieux que des religieuses. Suite à quelques scandales tels que commerce libertin entre quelques religieuses et quelques frères, accouchements clandestins, etc., l’évêque de Rennes, Marbode, adresse à Robert, vers 1100, une longue et sévère lettre de reproches. La lettre de Marbode met en doute la justesse des pratiques évangéliques et celle de la nova religio que Robert a instituée dans sa communauté itinérante. Il lui reproche ses excès, notamment de vivre au milieu des femmes, de porter un costume ridicule, de stigmatiser les vices du peuple et plus encore ceux des grands et du clergé. L’évêque Marbode et le concile réuni à Poitiers le 18 novembre 1100, sous la présidence des cardinaux Jean et Benoît, légats du pape, somment Robert de soumettre son troupeau à une règle. Ce qui l'engage à fonder une abbaye dans le vallon de Fontevrault, constituée à l'origine d'un simple village de huttes bâti autour d'une source nommée la fontaine d'Evrault (fons Ebraldi). Le concile de Poitiers jette les bases définitives de la nouvelle communauté, placée sous le règle de Saint-Benoît et mettant l’accent sur l’abstinence et le silence perpétuels. L’ordre monastique est placé sous le vocable de Notre-Dame du Calvaire. Robert confie à deux femmes, les plus fidèles de ses disciples, Hersende de Champagne, veuve de M. de Montsoreau et parente du comte d’Anjou, la prieure, secondée par Pétronille de Chemillé (qui sera plus tard la première abbesse de Fontevraud), le soin de veiller à la construction et à l'organisation du monastère, pendant qu'il poursuit ses courses apostoliques. L’abbaye accueille en son sein, mais séparément, des femmes et des hommes. Plusieurs établissements monastiques s’articuleront plus tard autour de la grande abbatiale : le Grand Moûtier pour les veuves et les vierges, la Madeleine pour les filles repenties, Saint-Benoît pour les sœurs infirmières, Saint-Lazare pour les lépreux et les malades et Saint-Jean-l’Habit (commandé par un prieur soumis à l'abbesse) pour les frères. Robert peut alors reprendre sa vie errante, prêcher et fonder des monastères : Les Loges, Chantenois, Lencloître, La Puïe, La Lande, Tuçon en Poitou ; Orsan, dans le Berry ; La Madeleine d'Orléans sur la Loire ; Boubon ; le prieuré de la Gasconnière, le couvent de Cadouin et celui de Haute-Bruyère près de Chartres. En 1104, Robert d'Arbrissel assiste au concile de Beaugency, puis à celui de Paris (2 décembre) où il persuade Bertrade de Montfort de se séparer du roi Philippe Ier (dont elle est l’épouse illégitime) et de renoncer au monde. Bertrade quitte la cour et se rend dans le village de huttes bâti par Robert autour d'une source nommée la fontaine d'Evrault (Fontevrault) où elle prendra le voile (elle s’éteindra vers 1117 après avoir fondé le prieuré de Haute-Bruyère). La même année meurt Renaud ou Régnault, ancien chanoine à Soissons et disciple de Robert. Le pape Pascal II approuve la fondation le 25 avril 1106 puis la confirme le 5 avril des années 1112 et 1117. En 1106, la venue à l’abbaye de la duchesse de Bretagne, Ermengarde d'Anjou, apporte une renommée encore plus grande et l’appui de son frère Foulque V, duc d’Anjou. La duchesse se mêle aux moniales, partageant partiellement leurs prières. Vers 1106-1107, Geoffroy, abbé de la Trinité Vendôme, écrit à Robert : « Nous avons appris en effet que tu te comportes à l'égard du sexe féminin que tu as entrepris de diriger de deux manières tout à fait opposées l'une à l'autre, au point que tu excèdes totalement la règle de la mesure dans les deux cas. À certaines des femmes tu permets, dit-on, d'habiter trop familièrement avec toi, tu leur parles très souvent en privé et tu ne rougis même pas de coucher fréquemment la nuit avec elles et au milieu d'elles. Tu penses ainsi, affirmes-tu, porter dignement la croix du Seigneur sauveur, quand tu t'efforces d'éteindre l'ardeur de la chair allumée à tort. Si tu agis ainsi, ou si tu l'as parfois fait, tu as inventé un genre de martyre nouveau et sans précédent, mais sans fruit. Certes on ne peut attendre aucune sorte d'utilité ou de fruit de ce qui a été d'évidence entrepris contre la raison. » En 1115, Robert place son ordre double (frères et sœurs) sous l’autorité unique d'une religieuse Chef et Générale de l’Ordre, la première abbesse : Pétronille de Chemillé. La même année, la reine Bertrade prend le voile à Fontevrault. Le 18 février 1116, Robert tombe gravement malade dans le Berry ; il meurt le 24 dans le prieuré fontevriste d'Orsan (Cher). Le bienheureux Robert d'Arbrissel est fêté le 25 février. Ce personnage controversé, qui pratiquait l'ordalie (jugement de Dieu), a toujours refusé le titre d'Abbé, préférant celui de magister (= maître). En 1145, le pape Eugène III affranchit les religieux des terribles épreuves que leur a imposées Robert d'Arbrissel, telles que l'eau bouillante, les fers chauds, etc. L'ordre n'en demeure pas moins soumis à une discipline sévère, où les jeûnes prolongés, les veilles et les offices de nuit tiennent une grande place. En prononçant leurs vœux, les hommes et les femmes promettent stabilité, conversion de mœurs, chasteté pure, pauvreté nue et obéissance. L'habit des hommes consiste en une robe noire, une chape, un chaperon ou grand capuce, auquel sont attachées par derrière et par devant deux petites pièces de drap nommées roberts. L'habit des femmes consiste en une robe blanche, une cuculle noire, un surplis blanc et une ceinture de laine noire. Calixte II consacre en personne l'église et l'abbaye en 1159. La renommée de l’abbaye de Fontevrault (ou Fontevraud) gagne l’Espagne et l’Angleterre où des monastères sont fondés. L’abbaye est le « Saint-Denis des Plantagenêts » : on peut s’y recueillir sur les gisants d'Aliénor d'Aquitaine, de son mari Henri II Plantagenêt, de leur fils Richard Coeur de Lion et d'Isabelle d'Angoulême (épouse de Jean-sans-terre). Jeanne-Baptiste de Bourbon inaugura ce cimetière des rois deux ans après être devenue abbesse, et elle en profita pour faire sa cérémonie d'intronisation. Le 31 mars (ou 1er avril) 1204, Aliénor d’Aquitaine (ou Eléonore de Guyenne), épouse de 2 rois (le roi de France Louis VII, puis le roi d’Angleterre, Henri II) et mère de 2 rois (Richard Ier Coeur de Lion et Jean d’Angleterre dit Jean sans Terre), meurt à Poitiers (selon Jean Flori et Martin Aurell, la localisation de sa mort à l'abbaye de Fontevraud, tirée de la Chronique de Saint-Martial, est due à une mauvaise lecture). Elle est inhumée, en habit de moniale fontevriste, dans l’église de l’abbaye où elle séjournait depuis 1194 et où elle s'était retirée en 1200. Son tombeau est profané à la Révolution et ses ossements dispersés ; subsiste son gisant. En 1459, quelques dissensions se produisent dans l'ordre à propos de réformes que veut y introduire la nouvelle abbesse, la vingt-sixième, Marie de Bretagne, qui veut rendre à la communauté ses bases primitives. En effet, jusque-là soumis à la règle de Saint-Benoît, les religieux, oubliant leur origine, se sont qualifiés de chanoines réguliers et ont adopté, sous une abbesse moins stricte, la règle plus douce de saint Augustin. Tout d'abord forcée de céder devant les résistances qu'elle rencontre, Marie se retire à la Madeleine d'Orléans où elle compose une règle mélangeant habilement des traditions de Robert d'Arbrissel et des règles de Saint Benoît et de Saint Augustin. Le 6 mars 1475, la nouvelle règle est approuvée par le pape Sixte IV. Elle est définitivement adoptée, en 1507, après le renvoi impitoyable des derniers récalcitrants de Fontevrault qui refusent de s'y conformer. En 1520, les religieux tentent de restreindre l'autorité suprême de l’abbesse et de la soumettre à un contrôle. Un arrêt du Grand conseil donne gain de cause à l'abbesse. Cet arrêt est approuvé et confirmé en 1523 par Clément VII. Sous le gouvernement de l'abbesse Jeanne de Bourbon, survient un nouveau conflit : les religieux publient un mémoire virulent, et le pape Urbain VIII (1623-1644) prend parti pour eux. Cependant, le 8 octobre 1641, un arrêt de Louis XIII (confirmé par Clément VIII) prescrit l’exécution stricte et entière de l’ancienne bulle d'approbation de Sixte IV et ordonne la destruction du factum injurieux. L'Abbaye et l'ordre connaissent l'une des périodes les plus fécondes et les plus glorieuses de leur histoire, sous la férule de Gabrielle de Rochechouart de Mortemart (1670-1704), la reine des abbesses. Au XVIIIe siècle, c’est un pensionnat féminin réputé qui accueille notamment les filles de Louis XV. À la Révolution, le domaine devient bien national. Les religieuses évacuent l'abbaye à l'automne 1792 : Julie-Gillette de Pardaillan d'Antin, la 36e et dernière abbesse, quitte l'abbaye la dernière, le 25 septembre 1792. Par décret du 18 octobre 1804, Napoléon Ier en fait une prison (idem pour les abbayes de Clairvaux et du mont Saint-Michel). En 1985, les lieux seront rendus à la vie civile : la prison résiduelle, le quartier de la Madeleine, sera fermée définitivement. En 1840, Prosper Mérimée inscrit l'abbaye sur la liste des monuments historiques à conserver. En 1963, l'Abbaye est restituée au Ministère de la Culture qui en confiera la gestion au centre culturel de l'Ouest, association créée en 1975 et pilotée par la région des Pays de la Loire ; elle est aujourd'hui inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco. CITATIONS Cependant, voyant augmenter la foule de ceux qui le suivaient, il décida, pour éviter tout acte inconsidéré, et puisqu'il importait que les femmes habitassent avec les hommes, de rechercher un lieu où ils pussent vivre sans scandale et de trouver un désert, s'il en rencontrait. Or, il y avait un lieu, inculte et aride, planté de buissons épineux, appelé Fontevraud depuis les temps anciens... (Baudri de Bourgueil 1046-1130, évêque de Dol, Vie du bienheureux Robert d'Arbrissel) A ce grand saint qui se plut à coucher Entre les bras de deux nonnes fessues, A caresser quatre cuisses dodues, Quatre tétons, et le tout sans pécher. (Voltaire 1694-1778, 4e chant de la Pucelle) Madame de Montespan, disait-il (l'abbé Testu, ndlr), parle comme une personne qui lit, madame de Thianges comme une personne d'esprit qui rêve, et madame l'abbesse de Fontevrault comme une personne qui parle. (Jean le Rond d'Alembert 1717-1783, Eloges, Testu) Le libre mysticisme entreprit alors de relever ce que la dureté sacerdotale avait traîné dans la boue. Ce fut surtout un Breton, nommé Robert d'Arbrissel, qui remplit cette mission d'amour. Il rouvrit aux femmes le sein du Christ, fonda pour elles des asiles, leur bâtit Fontevraud, et il y eut bientôt des Fontevraud par toute la chrétienté. L'aventureuse charité de Robert s'adressait de préférence aux grandes pécheresses ; il enseignait dans les plus odieux séjours la clémence de Dieu, son incommensurable miséricorde... (Jules Michelet 1798-1874) Partout, qu'il pleuve ou qu'il vente, l'abbesse de Fontevraud a rente. (Anonyme) Pour en savoir + http://www.abbaye-fontevraud.com/v3/home/ Sources Auteur : Jean-Paul Coudeyrette Référence publication : compilhistoire.fr ; reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur. Date de mise à jour : 20/09/2024 |