MARTIN LUTHER

Né le 10 novembre 1483 à Eisleben (Allemagne) d'un père exploitant une mine de cuivre et une fonderie, Martin Luther fut élève de l’université d’Erfurt (1501) où il obtint une maîtrise de droit (1505) ; le 17 juillet 1505, il entra chez les Augustins d'Erfurt et fut ordonné prêtre (3 avril 1507). En octobre 1510, il quitta le monastère des Augustins pour un voyage à pied de 850 miles (1 000 kilomètres) jusqu'à Rome ; là, en visite à la Cour du pape, il fut scandalisé par le luxe.
En 1511, Didier Erasme de Rotterdam publia Eloge de la folie ; prêtre partisan d’une réforme catholique libérale, il combattit le fanatisme et le dogmatisme au nom d’un véritable humanisme chrétien ; pionnier de l’esprit de tolérance, il correspondit avec Luther et les papes Jules II et Clément VII.
Docteur en théologie (1512), Luther devint professeur de théologie à l’université de Wittenberg (1513) et même vicaire général des Augustins en Allemagne (1515). Excellent moine, Luther se plongea dans la pénitence, la prière, la recherche théologique, cherchant à atteindre partout son salut dans la vérité ; on connaît sa formule célèbre : « Le chrétien se sait toujours pécheur, toujours juste et toujours repentant ». II lutta d’abord, au sein de l’église, contre les abus et les erreurs, notamment contre la vente des indulgences, que le frère dominicain, Johannes Tetzel, répandait en Allemagne pour permettre de poursuivre la construction de Saint-Pierre de Rome : chacun pouvait ainsi acheter des bons qui le tenaient quitte de ses péchés. L’opposition de Luther fut le début de la Réforme. Martin Luther reconnaîtra sa dette à l'égard de Wyclif.

En 1517, l'archevêque Albrecht de Mayence organisa la vente des lettres d'indulgence dans ses provinces, moyennant la moitié des revenus, l'autre moitié devant servir à la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome. Il rédigea une lettre pastorale dont voici des passages : "Nous savons que Dieu seul peut accorder le pardon des péchés, et que nul ne peut mériter Son pardon. C'est librement que Dieu pardonne aux pécheurs ; ni la richesse, ni le rang social, ni les bonnes actions ne peuvent acheter le pardon. Toutefois, il est difficile de comprendre ces choses, c'est pourquoi il faut faire les sacrifices suivants pour réussir à accepter le pardon de Dieu : tous les pécheurs vraiment repentants doivent se rendre dans au moins sept églises pour y confesser leurs péchés ; dans chacune des sept églises, ils doivent réciter cinq Notre Père et cinq Je vous salue Marie ; ils doivent faire un don, du montant le plus élevé possible, dans chacune des églises. (...) Les rois et les reines... les archevêques et les évêques, et tout autre grand personnage... verseront au moins vingt-cinq florins d'or ; les abbés... les comtes, les barons... verseront dix florins pour chaque lettre d'indulgence ; les prélats et les nobles de rang inférieur... verseront six florins ; les autres citoyens, les commerçants et les artisans... verseront un florin ; les pauvres devront faire leur contribution par le jeûne et la prière puisque le ciel devrait être accessible aux pauvres autant qu'aux riches."

Le frère dominicain, Johannes Tetzel, chargé de la vente, parcourut l’Allemagne en vendant à l’encan des remises sur le temps à passer en enfer. Il prêchait : "Nous vivons dans un monde de péché et de corruption. Puisque le mal nous entoure, il est difficile, sinon impossible, d'obtenir le salut éternel sans l'aide de Dieu. Chacun de nos péchés nous condamne à passer sept ans dans les flammes ardentes du purgatoire. Comptez le nombre de péchés commis en un jour, ou en une semaine, et multipliez ce chiffre par le nombre d'années dans une vie. Le nombre de péchés est incalculable ! Les souffrances du purgatoire seront donc, pour les pécheurs, interminables. Toutefois, tout espoir n'est pas perdu. Le Pape (Léon X, ndlr), représentant de Dieu sur Terre, vous offre une lettre qui vous garantit le salut éternel, tout en vous épargnant les souffrances interminables du purgatoire. Chaque fois que vous devrez vous confesser de vos péchés, vous aurez le droit d'acheter l'une de ces lettres. L'étendue du pardon reliée à ces lettres est inestimable. Peu importe le nombre de péchés que vous aurez commis, l'achat d'une de ces lettres vous épargnera les châtiments du purgatoire."

Le 31 octobre 1517, indigné par la campagne en faveur des indulgences, le moine augustin Martin Luther écrivit à l’archevêque Albrecht de Mayence pour le prier de mettre fin à cette opération scandaleuse. Il joignit à sa missive ses Quatre-vingt-quinze thèses sur la vertu des indulgences et demanda l’organisation d’une dispute sur ces propositions afin de contribuer à la clarification de la doctrine des indulgences qui n’avait pas encore été définie par l’Église.


Martin Luther par Lucas Cranach l'Ancien (1529)

Les Quatre-vingt-quinze thèses

Selon son contemporain Philippe Melanchthon, Martin Luther a placardé les Quatre-vingt-quinze thèses sur la porte de l’église de Wittenberg, le 31 octobre 1517 (la réalité de l'événement lui-même fait aujourd'hui l'objet de débats parmi les historiens 3) ; elles ont été, en tous cas, imprimées et diffusées, à la fin de l’année :

« Par amour pour la vérité et dans le but de la préciser, les thèses suivantes seront soutenues à Wittenberg, sous la présidence du Révérend Père Martin Luther, ermite augustin, maître ès Arts, docteur et lecteur de la Sainte Théologie. Celui-ci prie ceux qui, étant absents, ne pourraient discuter avec lui, de vouloir bien le faire par lettres. Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Amen.

1. En disant : Faites pénitence, notre Maître et Seigneur Jésus-Christ a voulu que la vie entière des fidèles fût une pénitence.
2. Cette parole ne peut pas s'entendre du sacrement de la pénitence, tel qu'il est administré par le prêtre, c'est à dire de la confession et de la satisfaction.
3. Toutefois elle ne signifie pas non plus la seule pénitence intérieure ; celle-ci est nulle, si elle ne produit pas au dehors toutes sortes de mortifications de la chair.
4. C’est pourquoi la peine dure aussi longtemps que dure la haine de soi-même, la vraie pénitence intérieure, c’est à dire jusqu’à l’entrée dans le royaume des cieux.
5. Le pape ne veut et ne peut remettre d'autres peines que celles qu'il a imposées lui-même de sa propre autorité ou par l'autorité des canons.
6. Le pape ne peut remettre aucune peine autrement qu'en déclarant et en confirmant que Dieu l'a remise ; à moins qu'il ne s'agisse des cas à lui réservés. Celui qui méprise son pouvoir dans ces cas particuliers reste dans son péché.
7. Dieu ne remet la coulpe à personne sans l'humilier, l'abaisser devant un prêtre, son représentant.
8. Les canons pénitentiels ne s'appliquent qu'aux vivants ; et d'après eux, rien ne doit être imposé aux morts.
9. Voilà pourquoi le pape agit selon le Saint-Esprit en exceptant toujours dans ses décrets l'article de la mort et celui de la nécessité.
10. Les prêtres qui, à l'article de la mort, réservent pour le Purgatoire les canons pénitentiels, agissent mal et d'une façon inintelligente.
11. La transformation des peines canoniques en peines du Purgatoire est une ivraie semée certainement pendant que les évêques dormaient.
12. Jadis les peines canoniques étaient imposées non après, mais avant l'absolution, comme une épreuve de la véritable contrition.
13. La mort délie de tout ; les mourants sont déjà morts aux lois canoniques, et celles-ci ne les atteignent plus.
14. Une piété incomplète, un amour imparfait donnent nécessairement une grande crainte au mourant. Plus l'amour est petit, plus grande est la terreur.
15. Cette crainte, cette épouvante suffit déjà, sans parler des autres peines, à constituer la peine du Purgatoire, car elle approche le plus de l'horreur du désespoir.
16. Il semble qu'entre l'Enfer, le Purgatoire et le Ciel il y ait la même différence qu'entre le désespoir, le quasi-désespoir et la sécurité.
17. Il semble que chez les âmes du Purgatoire l'Amour doive grandir à mesure que l'horreur diminue.
18. Il ne paraît pas qu'on puisse prouver par des raisons, ou par les Écritures que les âmes du Purgatoire soient hors d'état de rien mériter ou de croître dans la charité.
19. Il n'est pas prouvé non plus que toutes les âmes du Purgatoire soient parfaitement assurées de leur béatitude, bien que nous-mêmes nous en ayons une entière assurance.
20. Donc, par la rémission plénière de toutes les peines, le Pape n'entend parler que de celles qu'il a imposées lui-même, et non pas toutes les peines en général.
21. C'est pourquoi les prédicateurs des Indulgences se trompent quand ils disent que les indulgences du Pape délivrent l'homme de toutes les peines et le sauvent.
22. Car le Pape ne saurait remettre aux âmes du Purgatoire d'autres peines que celles qu'elles auraient dû souffrir dans cette vie en vertu des canons.
23. Si la remise entière de toutes les peines peut jamais être accordée, ce ne saurait être qu'en faveur des plus parfaits, c'est-à-dire du plus petit nombre.
24. Ainsi cette magnifique et universelle promesse de la rémission de toutes les peines accordées à tous sans distinction, trompe nécessairement la majeure partie du peuple.
25. Le même pouvoir que le Pape peut avoir, en général, sur le Purgatoire, chaque évêque le possède en particulier dans son diocèse, chaque pasteur dans sa paroisse.
26. Le Pape fait très bien de ne pas donner aux âmes le pardon en vertu du pouvoir des clefs qu'il n'a pas, mais de le donner par le mode de suffrage.
27. Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu'aussitôt que l'argent résonne dans leur caisse, l'âme s'envole du Purgatoire.
28. Ce qui est certain, c'est qu'aussitôt que l'argent résonne, l'avarice et la rapacité grandissent. Quant au suffrage de l'Église, il dépend uniquement de la bonne volonté de Dieu.
29. Qui sait si toutes les âmes du Purgatoire désirent être délivrées, témoin de ce qu'on rapporte de Saint Séverin et de Saint Paul Pascal.
30. Nul n'est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l'être de l'entière rémission.
31. Il est aussi rare de trouver un homme qui achète une vraie indulgence qu'un homme vraiment pénitent.
32. Ils seront éternellement damnés avec ceux qui les enseignent, ceux qui pensent que des lettres d'indulgences leur assurent le salut.
33. On ne saurait trop se garder de ces hommes qui disent que les indulgences du Pape sont le don inestimable de Dieu par lequel l'homme est réconcilié avec lui.
34. Car ces grâces des indulgences ne s'appliquent qu'aux peines de la satisfaction sacramentelle établies par les hommes.
35. Ils prêchent une doctrine antichrétienne ceux qui enseignent que pour le rachat des âmes du Purgatoire ou pour obtenir un billet de confession, la contrition n'est pas nécessaire.
36. Tout chrétien vraiment contrit a droit à la rémission entière de la peine et du péché, même sans lettre d'indulgences.
37. Tout vrai chrétien, vivant ou mort, participe à tous les biens de Christ et de l'Église, par la grâce de Dieu, et sans lettres d'indulgences.
38. Néanmoins il ne faut pas mépriser la grâce que le Pape dispense ; car elle est, comme je l'ai dit, une déclaration du pardon de Dieu.
39. C'est une chose extraordinairement difficile, même pour les plus habiles théologiens, d'exalter en même temps devant le peuple la puissance des indulgences et la nécessité de la contrition.
40. La vraie contrition recherche et aime les peines ; l'indulgence, par sa largeur, en débarrasse, et à l'occasion, les fait haïr.
41. Il faut prêcher avec prudence les indulgences du Pape, afin que le peuple ne vienne pas à s'imaginer qu'elles sont préférables aux bonnes œuvres de la charité.
42. Il faut enseigner aux chrétiens que dans l'intention du Pape, l'achat des indulgences ne saurait être comparé en aucune manière aux Oeuvres de miséricorde.
43. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui donne aux pauvres ou prête aux nécessiteux fait mieux que s'il achetait des indulgences.
44. Car par l'exercice même de la charité, la charité grandit et l'homme devient meilleur. Les indulgences au contraire n'améliorent pas ; elles ne font qu'affranchir de la peine.
45. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui voyant son prochain dans l'indigence, le délaisse pour acheter des indulgences, ne s'achète pas l'indulgence du Pape mais l'indignation de Dieu.
46. Il faut enseigner aux chrétiens qu'à moins d'avoir des richesses superflues, leur devoir est d'appliquer ce qu'ils ont aux besoins de leur maison plutôt que de le prodiguer à l'achat des indulgences.
47. Il faut enseigner aux chrétiens que l'achat des indulgences est une chose libre, non commandée.
48. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape ayant plus besoin de prières que d'argent demande, en distribuant ses indulgences plutôt de ferventes prières que de l'argent.
49. Il faut enseigner aux chrétiens que les indulgences du Pape sont bonnes s'ils ne s'y confient pas, mais des plus funestes, si par elles, ils perdent la crainte de Dieu.
50. Il faut enseigner aux chrétiens que si le Pape connaissait les exactions des prédicateurs d'indulgences, il préférerait voir la basilique de Saint-Pierre réduite en cendres plutôt qu'édifiée avec la chair, le sang, les os de ses brebis.
51. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape, fidèle à son devoir, distribuerait tout son bien et vendrait au besoin l'Église de Saint-Pierre pour la plupart de ceux auxquels certains prédicateurs d'indulgences enlèvent leur argent.
52. Il est chimérique de se confier aux indulgences pour le salut, quand même le commissaire du Pape ou le Pape lui-même y mettraient leur âme en gage.
53. Ce sont des ennemis de Christ et du Pape, ceux qui à cause de la prédication des indulgences interdisent dans les autres églises la prédication de la parole de Dieu.
54. C'est faire injure à la Parole de Dieu que d'employer dans un sermon autant et même plus de temps à prêcher les indulgences qu'à annoncer cette Parole.
55. Voici quelle doit être nécessairement la pensée du Pape ; si l'on accorde aux indulgences qui sont moindres, une cloche, un honneur, une cérémonie, il faut célébrer l'Évangile qui est plus grand, avec cent cloches, cent honneurs, cent cérémonies.
56. Les trésors de l'Église, d'où le Pape tire ses indulgences, ne sont ni suffisamment définis, ni assez connus du peuple chrétien.
57. Ces trésors ne sont certes pas des biens temporels ; car loin de distribuer des biens temporels, les prédicateurs des indulgences en amassent plutôt.
58. Ce ne sont pas non plus les mérites de Christ et des saints ; car ceux-ci, sans le Pape, mettent la grâce dans l'homme intérieur, et la croix, la mort et l'enfer dans l'homme intérieur.
59. Saint Laurent a dit que les trésors de l'Église sont ses pauvres. En cela il a parlé le langage de son époque.
60. Nous disons sans témérité que ces trésors, ce sont les clefs données à l'Église par les mérites du Christ.
61. Il est clair en effet que pour la remise des peines et des cas réservés, le pouvoir du Pape est insuffisant.
62. Le véritable trésor de l'Église, c'est le très saint Évangile de la gloire et de la grâce de Dieu.
63. Mais ce trésor est avec raison un objet de haine car par lui les premiers deviennent les derniers.
64. Le trésor des indulgences est avec raison recherché ; car par lui les derniers deviennent les premiers.
65. Les trésors de l'Évangile sont des filets au moyen desquels on pêchait jadis des hommes adonnés aux richesses.
66. Les trésors des indulgences sont des filets avec lesquels on pêche maintenant les richesses des hommes.
67. Les indulgences dont les prédicateurs vantent et exaltent les mérites ont le très grand mérite de rapporter de l'argent.
68. Les grâces qu'elles donnent sont misérables si on les compare à la grâce de Dieu et à la piété de la croix.
69. Le devoir des évêques et des pasteurs est d'admettre avec respect les commissaires des indulgences apostoliques.
70. Mais c'est bien plus encore leur devoir d'ouvrir leurs yeux et leurs oreilles, pour que ceux-ci ne prêchent pas leurs rêves à la place des ordres du Pape.
71. Maudit soit celui qui parle contre la vérité des indulgences apostoliques.
72. Mais béni soit celui qui s'inquiète de la licence et des paroles impudentes des prédicateurs d'indulgences.
73. De même que le Pape excommunie justement ceux qui machinent contre ses indulgences,
74. Il entend à plus forte raison excommunier ceux qui, sous prétexte de défendre les indulgences, machinent contre la sainte charité et contre la vérité.
75. C'est du délire que d'exalter les indulgences du Pape jusqu'à prétendre qu'elles délieraient un homme qui, par impossible, aurait violé la mère de Dieu.
76. Nous prétendons au contraire que, pour ce qui est de la coulpe, les indulgences ne peuvent pas même remettre le moindre des péchés véniels.
77. Dire que Saint Pierre, s'il était Pape de nos jours, ne saurait donner des grâces plus grandes, c'est blasphémer contre Saint Pierre et contre le Pape.
78. Nous disons au contraire que lui ou n'importe quel pape possède des grâces plus hautes, savoir : l'Évangile, les vertus, le don des guérisons, etc. (d'après I Cor. 12).
79. Dire que la croix ornée des armes du Pape égale la croix du Christ, c'est un blasphème.
80. Les évêques, les pasteurs, les théologiens qui laissent prononcer de telles paroles devant le peuple en rendront compte.
81. Cette prédication imprudente des indulgences rend bien difficile aux hommes même les plus doctes, de défendre l'honneur du Pape contre les calomnies ou même contre les questions insidieuses des laïques.
82. Pourquoi, disent-ils, pourquoi le Pape ne délivrent-ils pas d'un seul coup toutes les âmes du Purgatoire, pour les plus justes des motifs, par sainte charité, par compassion pour leurs souffrances, tandis qu'il en délivre à l'infini pour le motif le plus futile, pour un argent indigne, pour la construction de sa basilique ?
83. Pourquoi laisse-t-il subsister les services et les anniversaires des morts ? Pourquoi ne rend-il pas ou ne permet-il pas qu'on reprenne les fondations établies en leur faveur, puisqu'il n'est pas juste de prier pour les rachetés.
84. Et encore : quelle est cette nouvelle sainteté de Dieu et du Pape que, pour de l'argent, ils donnent à un impie, à un ennemi le pouvoir de délivrer une âme pieuse et aimée de Dieu, tandis qu'ils refusent de délivrer cette âme pieuse et aimée, par compassion pour ses souffrances, par amour et gratuitement ?
85. Et encore : pourquoi les canons pénitentiels abrogés de droit et éteints par la mort se rachètent-ils encore pour de l'argent, par la vente d'une indulgence, comme s'ils étaient encore en vigueur ?
86. Et encore : pourquoi le Pape n'édifie-t-il pas la basilique de Saint-Pierre de ses propres deniers, plutôt qu'avec l'argent des pauvres fidèles, puisque ses richesses sont aujourd'hui plus grandes que celles de l'homme le plus opulent ?
87. Encore : pourquoi le Pape remet-il les péchés ou rend-il participants de sa grâce ceux qui par une contrition parfaite ont déjà obtenu une rémission plénière et la complète participation à ces grâces ?
88. Encore : ne serait-il pas d'un plus grand avantage pour l'Église, si le Pape, au lieu de distribuer une seule fois ses indulgences et ses grâces, les distribuait cent fois par jour et à tout fidèle ?
89. C'est pourquoi si par les indulgences le Pape cherche plus le salut des âmes que de l'argent, pourquoi suspend-il les lettres d'indulgences qu'il a données autrefois, puisque celles-ci ont même efficacité ?
90. Vouloir soumettre par la violence ces arguments captieux des laïques, au lieu de les réfuter par de bonnes raisons, c'est exposer l'Église et le Pape à la risée des ennemis et c'est rendre les chrétiens malheureux.
91. Si, par contre, on avait prêché les indulgences selon l'esprit et le sentiment du Pape, il serait facile de répondre à toutes ces objections ; elles n'auraient pas même été faites.
92. Qu'ils disparaissent donc tous, ces prophètes qui disent au peuple de Christ : « Paix, paix » et il n'y a pas de paix !
93. Bienvenus au contraire les prophètes qui disent au peuple de Christ : "Croix, croix" et il n'y a pas de croix !
94. Il faut exhorter les chrétiens à s'appliquer à suivre Christ leur chef à travers les peines, la mort et l'enfer.
95. Et à entrer au ciel par beaucoup de tribulations plutôt que de se reposer sur la sécurité d'une fausse paix
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» 1

Le 4 décembre 1517, dans Disputatio contra scholasticam theologiam, Luther énonça une série de thèses : « C’est une erreur de dire que sans Aristote on ne devient pas théologien. Bien au contraire, c’est seulement sans Aristote qu’on devient théologien. En bref, tout Aristote est à la théologie ce que les ténèbres sont à la lumière ». En août, Luther, convoqué à Rome, demanda à rencontrer le cardinal Thomas de Vio dit Cajetan à Augsbourg. Du 7 au 12 octobre, devant Cajetan délégué par le pape à la Diète d’Augsbourg pour le rencontrer, Luther refusa de renier ses propos dans lesquels il affirmait la supériorité de l'Ecriture sur l'autorité du pape. Le 28 novembre, Luther, en appela au concile et du pape mal informé au pape mieux informé.

Du 27 juin au 16 juillet 1519, Dispute de Leipzig : contre le théologien catholique Johann Eck d’Ingolstadt, Luther et Andreas Karlstadt prétendirent que les conciles et les papes pouvaient se tromper ; après ce débat, la rupture entre Rome et les luthériens fut définitive.

En 1520, Luther publia Brève Explication des dix commandements, du Symbole et du Notre Père, Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande, De la liberté du chrétien, De la Captivité de Babylone de l’Église. Le 15 juin, la bulle du pape Léon X Exsurge Domine Contra errores Martini Lutheri et sequacium somma Luther de se rétracter dans les 60 jours sous peine d’excommunication et déclara hérétiques 41 de ses propositions ; cette bulle avait été préparée au cours de l’hiver précédent par une commission de théologiens ; avec le cardinal Accolti, le cardinal dominicain Cajetan avait assuré la présidence de cette commission, lui qui avait ressenti sa rencontre avec Luther à Augsbourg (12 au 15 octobre 1518) comme un douloureux échec ; ce pasteur théologien avait tenté de nuancer la rédaction, alors que le théologien Jean Eck prônait une condamnation globale et radicale d’un Luther scandaleux et hérétique ; discutée par quatre consistoires de cardinaux de curie, la bulle ménageait la personne de Luther (qui a 60 jours pour se soumettre) et portait condamnation de 41 propositions doctrinales tirées de ses livres, notamment celles traitant de la grâce, du péché, des sacrements et de la communion sous les deux espèces. Le 17 novembre, la bulle Exsurge Domine fut publiée en Allemagne : Luther y répondit par deux écrits. 10 décembre, à Wittenberg, Luther brûla publiquement la bulle papale Exsurge Domine.

Le 3 janvier 1521, la bulle Decet romanum pontificem du pape Léon X excommunia Luther et ses partisans pour hérésie. Le 17 avril, Luther refusa de se rétracter devant la Diète de Worms (28 janvier au 25 mai) qui ne le condamna pas et le laissa repartir libre (il avait de nombreux partisans parmi les princes). Le 26 avril, Luther disparut ; il avait été emmené par les hommes de Frédéric III de Saxe qui le cacha, à partir du 4 mai, au château de la Wartburg sous le nom de chevalier Georges ; c’est là, à la Wartburg, que Luther traduisit la Bible ; il prétendit y avoir eu avec le diable un entretien à la suite duquel il considéra les messes privées comme un abus damnable ; le récit de cette entrevue, publié en 1533, ne fut pas contredit par Luther, qui affirma au contraire que ce n’était pas un rêve et qu’il était parfaitement éveillé pendant sa conversation avec le diable (les démonologues pensent que c'est le démon Caym (ou Caim) qui a eu cette discussion avec Luther) : un jour que le Diable venait, une fois de plus, le tourmenter, l’empêchant de travailler à la traduction de la Bible, il lança son encrier contre lui, occasionnant ainsi une tache sur le mur, laquelle est encore visible aujourd’hui. "Satan, écrivit Luther, se présente souvent sous un déguisement : je l’ai vu de mes yeux sous la forme d’un porc, d’un bouchon de paille enflammé ..." (cité par L. Christiani). "Un religieux vint un jour frapper rudement à la porte de Luther en demandant à lui parler. On lui ouvre ; il regarde un moment le réformateur et lui dit : "J'ai découvert quelques erreurs papistiques sur lesquelles je voudrais conférer avec vous. - Parlez ! répond Luther. L'inconnu propose d'abord quelques discussions assez simples que Luther résout aisément mais chaque question nouvelle était plus difficile que la précédente et le moine exposa bientôt des syllogismes très embarrassants. Luther, offensé, lui dit brusquement : "Vos questions sont trop embrouillées, j'ai pour le moment autre chose à faire que de vous répondre !" Cependant il se levait pour argumenter encore lorsqu'il remarqua que le prétendu religieux avait le pied fendu et les mains armées de griffes : "N'es-tu pas, lui dit-il, celui dont la naissance du Christ a dû briser la tête. Ton règne passe ; ta puissance est maintenant peu dangereuse ; tu peux retourner en enfer !" Le Diable qui s'attendait à un combat d'esprit et non à un assaut d'injures se retira tout confus en gémissant sur l'injustice des hommes à son égard. 4" "Luther, en avançant que le diable pouvait être un visage de Dieu, a été atypique". (Pierre-Yves Ruff). Le 26 mai, Charles Quint promulga l’Edit de Worms qui mit Luther au ban de l’Empire et ordonna la destruction de ses livres considérés comme hérétiques.

En 1522, désaccord entre Münzer, partisan du changement religieux et social, et Luther pour qui la religion est en dehors de la politique. Le 21 septembre, caché sous le nom de Chevalier de Saint-Georges, Martin Luther publia à Wittenberg sa traduction de la Bible en allemand à partir du grec : la Bible de Luther (1510-22) fut condamnée pour 1 400 erreurs de traduction et d’interprétation : la plus notable (corrigée dans les versions modernes) ajoutait l’adjectif seule dans le verset 28 du chapitre III de l’Épître aux Romains : « L'homme est justifié par la foi SEULE, à l'exclusion des oeuvres de la Loi ».

Au début de l'année 1523, Martin Luther fit paraître : De l'autorité temporelle et des limites de l'obéissance qu'on lui doit. Le 1er juillet , à Bruxelles, Henri Voes et Jean Van Essem, moines augustins partisans de Luther, condamnés à mort par l’inquisition, périrent sur le bûcher. Le 8 août, à Paris, le moine augustin Jean Vallière fut brûlé vif ; sur le parvis de Notre-Dame de Paris, plusieurs livres des théologiens réformistes Martin Luther et de Philipp Melanchthon, traduits et édités par Loys Barquin, étaient brûlés en autodafé sur ordre de l'évêché. Fin avril, la Révolte des paysans menaçant de conduire au chaos, Luther incita l’autorité à recourir à la répression sans merci.

Le 5 avril 1525, Sigismond Ier de Pologne instaura son pouvoir sur la Prusse-Orientale ; le même jour, Albert de Brandebourg, grand maître de l’Ordre Teutonique, annonça sa conversion à la réforme de Martin Luther. Le 8 avril, Albert de Brandebourg créa l’Etat prussien dont il fit un état protestant, prit le titre de duc de Prusse et reçut l’investiture du roi de Pologne Sigismond Ier. Fin avril, la Révolte des paysans menaçant de conduire au chaos, Luther incita l’autorité à recourir à la répression sans merci. Le 13 juin, Luther épousa Katharina von Bora, une ancienne nonne, dont il eut 6 enfants : « Le fait que le monde se scandalise me prouve que c’est une œuvre de Dieu. Si l’on m’avait approuvé, je douterais de la légitimité de mon mariage ».
Dans De Servo arbitrio [1525], Luther accusait Erasme de scepticisme, de laxisme et d’impiété, opposant aux thèses de l’humaniste celle de la passivité totale de l’homme entre les mains de Dieu, dispensateur de la grâce, et aux œuvres l’austère rigueur du sola fide (la foi seule).

En 1526, Luther créa sa Messe allemande.

24 juin 1527, Recès de Västeras : le luthéranisme devint religion d'État en Suède : une partie des biens d'Eglise fut sécularisée au profit de la couronne ; sous l'impulsion de Laurentius Petri, l'archevêque d'Uppsala, le clergé et l'épiscopat adoptèrent également la réforme de Martin Luther.

3 février 1528, ouverture du Concile de Sens ou de Paris (fin le 9 octobre) qui condamna les idées de Luther ; les conciles de Lyon et de Bourges (21 mars) firent de même.

En avril/mai 1529, Luther publia Le Petit Catéchisme pour le peuple et Le Grand Catéchisme pour les pasteurs. De fait, il instaura la suppression des vœux monastiques et le célibat des prêtres, il supprima également les sacrements non-évangéliques, en gardant le baptême et l'eucharistie. Puis il déclara que la langue liturgique est l'allemand, et que ce sont les communautés locales qui élisent les pasteurs.

Le 20 février 1530, l'université Albertina de Fribourg-en-Brisgau condamna les thèses de Luther. Le 25 juin, à Augsbourg, présentation à la Diète du Formulaire (profession de foi luthérienne rédigée en latin et en allemand par Philippe Melanchthon, disciple de Luther, et Camerarius) appelé Confession d’Augsbourg ; composée de 28 articles, cette confession présentait de manière claire les croyances des réformateurs afin de constituer un texte qui convint aux catholiques de l'Empire ; il fut rejeté par les théologiens catholiques le 3 août ; suite à ce rejet, les princes luthériens se rassemblèrent et formèrent la Ligue de Smalkalde en 1531.

En mars 1532, Luther publia l’Ancien Testament (traduction allemande).

En 1534, il acheva l'écriture de sa Bible. Avec l'imprimerie, le luthéranisme se répandit de plus en plus.

En 1543, Luther écrivit Des Juifs et de leurs mensonges : « Donc sachez, mes chers chrétiens, que, après le diable, vous n’avez point plus venimeux, plus véhément et plus ennemi qu’un véritable juif qui désire sincèrement être un juif ... Est-ce que leur Talmud et leurs rabbins n’enseignent-ils pas que ce n’est pas un péché que de tuer si un juif tue un païen, mais que c’est par contre un péché si il tue un frère en Israël ? Ce n’est pas un péché pour lui comme ils le font en prêtant de l’argent - d’un païen est un service divin ... Maintenant, qu’allons-nous faire avec ces juifs, rejetés et condamnés ? (…) Brûler leurs synagogues, écoles, enterrer et couvrir avec de la saleté tout ce qui ne brûle pas (...) Je recommande de raser et détruire leurs maisons (...) Je recommande qu’on leur prenne leurs livres de prière, qui contiennent de telles idolâtries, mensonges, insultes et blasphèmes (...) Que l’on interdise à leurs rabbins d’enseigner sous peine de mort (...) Que l’on leur prenne leurs trésors d’or et d’argent (...) Mais si les autorités civiles sont réticentes à user de la force pour restreindre leur vice diabolique, alors les juifs devraient être expulsés de leur pays et renvoyés à Jérusalem où ils pourront mentir, injurier, diffamer, assassiner, voler, pratiquer l’usure et la moquerie, et se laisser aller à toutes ces infâmes abominations qu’ils pratiquent parmi nous »

Le 24 octobre 1544, à Anvers, Eloi Pruystinck, proche des anabaptistes, fut brûlé ; les loïstes (partisans d’Eloi Pruystinck), dont l’hédonisme était dénoncé par Luther, furent persécutés : plusieurs de ses compagnons furent décapités, mais des disciples passèrent en Angleterre où leur influence se perpétua jusqu’au milieu du XVIIe siècle, parmi les ranters, hostiles au puritanisme de Cromwell.

Le royaume de Suède devint luthérien en 1544 et Elisabeth Ière intronisa l'anglicanisme en 1559.

Luther souffrait de la gravelle. Mort à Eisleben le 18 février 1546 (sans doute d'un accident vasculaire cérébral ou d’une indigestion à en croire ses détracteurs : il est vrai que le moine austère était devenu amateur de bonne chère), il fut enterré à l'église de la Toussaint de Wittenberg.
"Je demande qu’on taise mon nom et qu’on ne s’appelle pas luthérien, mais chrétien. Qu’est-ce que Luther ? La doctrine n’est pas de moi. De même, je n’ai été crucifié pour personne [...]. Comment se pourrait-il qu’on ose employer mon nom à moi, pauvre corps puant et destiné aux vers, pour désigner les enfants du Christ, mon nom à moi, en qui il n’y a point de salut ?".

Le 25 septembre 1555, après de longs combats, la Paix d'Augsbourg donna la liberté de conscience et mit donc sur un pied d'égalité protestants et catholiques.

La théologie luthérienne 2

Très complexe, elle est souvent résumée par quatre principes:
- sola scriptura : "les saintes Écritures seules" représentent la source de toute foi et de toute connaissance que nous avons de Dieu: c'est elle, par conséquent, qui constitue la norme critique de tout discours et de toute action chrétienne;
- sola gratia : "la grâce seule" compte sans qu'aucune intervention de l'homme pour atteindre son propre salut ne joue un rôle ;
- sola fide : "la foi seule" ; c'est uniquement si nous croyons dans le Christ, sans aucune œuvre de notre part, que nous pouvons atteindre le salut ;
- solus Christus : "le Christ seul", vraiment homme et vraiment Dieu, permet par son sacrifice vicarial sur la croix la justification et la guérison qui nous sont transmises par l’Évangile et par le sacrement de l'Eucharistie. Ce dernier principe est la pierre de touche des trois autres.

Citations

Marie est « Mère de Dieu » : voilà son premier titre de gloire, celui qui englobe tous les autres. On n'en saurait imaginer de plus sublime. Tous les autres ne seraient rien par rapport à celui-ci, même si leur nombre dépassait celui des étoiles du ciel et des grains de sable de la mer. (Luther, Commentaire du Magnificat)

Tout protestant fut pape, une Bible à la main. (Boileau + 1711, Satires)

Qu'est-ce qui a fait naître le protestantisme, sinon les abus du catholicisme ? (Théodore Simon Jouffroy 1796-1842)

Ce qui distingue le protestantisme, c'est la négation de toute autorité supérieure à la raison individuelle. (Auguste Ott 1814-1903)


Notes
1 Soli Deo Gloria - http://www.chez.com/sdg/
2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Luther
3 https://fr.wikipedia.org/wiki/95_th%C3%A8ses
4 Melanchthon, de examin theolog operum tom I, cité dans Le diable peint par lui-même de Jacques-Albin-Simon Collin de Plancy


Auteur : Jean-Paul Coudeyrette
Référence publication : compilhistoire.fr ; reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.

Date de mise à jour : 11/02/2024

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