Le docétisme

Les docètes (en grec dokêtai, du verbe dokein = paraître, sembler) représentent une tendance hérétique dans le christianisme dès le 1er siècle : le Christ, au cours de sa vie terrestre, n’avait pas un corps réel mais seulement un corps apparent, comme celui d’un fantôme.

Bien qu’on trouve dans le Nouveau Testament (1ère Épître de Jean, IV, 2) des allusions à ses premières manifestations, le docétisme reçoit une élaboration plus ample au IIe siècle, du fait que les gnostiques, qui enseignent que la matière est mauvaise, en font un point important de leur doctrine.

Le terme docétisme se rencontre pour la première fois au IIe siècle dans un écrit de Sérapion, évêque d'Antioche.
On ignore si ce nom désigne une secte, comme le prétendent Clément d'Alexandrie et Théodoret, ou simplement une opinion très répandue, surtout parmi les gnostiques, ainsi que l'affirment Epiphane et Philastre.
Clément d'Alexandrie, dans les Stromates livre VII, 17 et Eusèbe de Césarée, (H.E. VI, 12) prête à Sérapion, évêque d'Antioche vers 190, l'opinion que Marcion serait un docète. Ces docètes auraient eu leurs évangiles : l'Evangile de Pierre, pour Sérapion, l'Evangile selon les Egyptiens, pour Clément. Le docétisme n'est pas sans étroits rapports avec la Gnose, à ceci près que certains gnostiques tel Carpocrate, considèrent Jésus-Christ comme vraiment homme (mais non pas Dieu), cependant que la plupart nient son humanité, tout en variant dans la représentation qu'ils se font du Messie.
Certains adeptes nient la nature humaine du Christ, alors que d'autres admettent son incarnation mais non ses souffrances, prétendant qu'il a persuadé l'un de ses disciples (Judas ou Simon) de prendre sa place sur la croix ; d'autres encore lui attribuent un corps céleste et éthéré incapable de connaître les souffrances humaines.

Cette négation de la réalité humaine du Christ dérive des présupposés du dualisme, une doctrine philosophique qui envisage la matière comme un simple support, une substance inférieure à l'esprit.
S'inspirant de cette doctrine, les docétistes affirment que Dieu ne peut être associé à la matière.
Ils refusent par là l'interprétation littérale de l’Evangile selon saint Jean (1,14) où il est dit que la Parole se fit chair.

Des docètes radicaux soutiennent que le Christ naquit sans aucune participation à la matière et que toutes les actions et les souffrances de sa vie, y compris la crucifixion, ne furent que des apparences.
Ils nient la Résurrection et l’Ascension.

Le docétisme rencontre une forte opposition chez les premiers écrivains chrétiens, à commencer par Ignace d'Antioche (+ vers 111/113) et Irénée (+ vers 208) :
« Les puissances célestes, les anges, les princes, soit visibles, soit invisibles, ne demeureront point impunis, s'ils ne croient au sang de Jésus-Christ. Personne ne doit s'enorgueillir de son rang ou du poste qu'il occupe. » (Lettre d'Ignace aux Smyrnéens)
« Vains, tout d'abord, ceux qui prétendent qu'il s'est montré d'une façon purement apparente : ce n'est pas en apparence, mais en toute réalité et vérité, qu'ont eu lieu les faits que nous venons de dire. Supposons au contraire que, sans être homme, il se soit montré sous les dehors d'un homme : en ce cas, il n'est pas réellement demeuré ce qu'il était, à savoir Esprit de Dieu, puisque l'Esprit est invisible ; d'autre part, il n'y a eu aucune vérité en lui, puisqu'il n'était pas ce qu'il paraissait être. Au reste, nous avons dit précédemment qu'Abraham et les autres prophètes le voyaient d'une manière prophétique, prophétisant par des visions ce qui était à venir : si donc même maintenant il est apparu de cette manière, sans être réellement ce qu'il paraissait, c'est une sorte de vision prophétique qui a été donnée aux hommes, et il nous faut attendre une autre venue de ce même Seigneur, en laquelle il sera tel exactement qu'il aura été vu maintenant de façon prophétique. Au surplus, nous avons montré que c'est tout un, de dire qu'il s'est montré d'une façon purement apparente, et de dire qu'il n'a rien reçu de Marie : car il n'aurait pas eu réellement le sang et la chair par lesquels il nous a rachetés, s'il n'avait récapitulé en lui-même l'antique ouvrage modelé, c'est-à-dire Adam. Vains sont donc les disciples de Valentin qui enseignent cette doctrine afin de pouvoir exclure de la chair la vie et rejeter l'ouvrage modelé par Dieu
. » (Irénée, Contre les Hérésies V 1)


Irenaeus

Le concile de Nicée proclame en 325 : « Nous croyons en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non créé, d’une même substance que le Père, et par qui tout a été fait ; qui, pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu des cieux et s’est incarné par le Saint-Esprit dans la Vierge Marie et a été fait homme. »

Dans son traité Sur l’incarnation du Verbe (Logos), Athanase (+ 373) enseigne qu'il n'y a pas en Jésus-Christ deux natures, mais la seule nature divine incarnée, que la nature humaine n'a été qu'un instrument pour le Logos : « Notre transgression provoqua la philanthropie du Verbe, de telle sorte que le Seigneur vint jusqu’à nous et apparut parmi les hommes. Car nous sommes devenus la cause de son entrée dans un corps. C’est pour notre salut qu’il a été pris d’amour jusqu’à se rendre humain et paraître dans un corps ».

En janvier 385, à Trèves, Priscillien dont la doctrine est un mélange de docétisme, de sabellianisme, de panthéisme et de manichéisme, est convaincu de maléfice et de pratiques immorales, condamné à mort et exécuté avec six de ses disciples dont une femme, malgré les protestations de Martin de Tours, d'Ambroise et du pape Sirice. Priscillien et ses disciples sont les premiers dans l’histoire à subir la peine de mort pour hérésie.

Le concile de Chalcédoine (8 octobre au 1er novembre 451) rejette le docétisme.

Pour l’islam, Issa (Jésus) n’a pas été crucifié :
« Ils disent : Nous avons mis à mort le Messie, Jésus fils de Marie, l'Apôtre de Dieu. Non, ils ne l'ont point tué, ils ne l'ont point crucifié ; un autre individu qui lui ressemblait (un faux semblant) lui fut substitué, et ceux qui disputaient à son sujet ont été eux-mêmes dans le doute. Ils n'en avaient pas de connaissance précise, ce n'était qu'une supposition. Ils ne l'ont point tué réellement… » (Coran IV, 156, 1)
« Nous avons vraiment tué le Christ, Jésus, fils de Marie, le Messager d'Allah »... Or, ils ne l'ont ni tué ni crucifié ; mais ce n'était qu'un faux semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l'incertitude : ils n'en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l'ont certainement pas tué, mais Allah l'a élevé vers Lui. Et Allah est Puissant et Sage. » (Coran IV, 157-158, 2)
A Srinagar au Cachemire, un tombeau, nommé Roza Bal, serait celui de Jésus 3.
L’islam s’est-il inspiré de l’hérésie docétiste ?

CITATION

Les gnostiques docétiques supprimaient l'humanité du Christ. (David Strauss 1808-1874)


Notes
1 Coran, traduit par Kasimirski
2 quran.al-islam.com/Frn/
3 Les Ahmadis (de Mirza Ghulam Ahmad, originaire d'un milieu soufi sunnite, qui proclama le 4 mars 1889 avoir reçu une révélation de Dieu, la capacité de prescience ainsi que celle d'accomplir des miracles - y compris la résurrection des morts - puis, à partir de 1904, être un avatar de Krishna ainsi que Jésus de Nazareth retourné sur terre comme Mahdi), donnent aux prophètes Mahomet et Jésus (Issa) une place privilégiée. Ils vénèrent un tombeau nommé Roza Bal qu'ils disent être celui de Jésus. Le lieu de culte est un temple situé à Srinagar au Cachemire (https://fr.wikipedia.org/wiki/Ahmadisme).


Sources


Auteur : Jean-Paul Coudeyrette
Référence publication : compilhistoire.fr ; reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.

Date de mise à jour : 16/02/2024

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